1 malchance sur 100 de se produire chaque année
Décembre 1740 - Janvier - Février 1741
Une des cinq plus importantes inondations de la Seine à Paris au cours des quatre derniers siècles.
Cours d’eau : Marne, Seine, Yonne
Villes : Genevilliers, Neuilly, Paris, Saint-Denis, Saint-Cloud, Saint-Maur, Sens, Troyes
Météorologie et hydrologie
La neige est présente sur une bonne partie du bassin de la Seine dès le début du mois d’octobre 1740. Le redoux s’installe début novembre, accompagné de pluies régulières et soutenues. « Le vent a été très violent variant entre le NO et le SO ; les pluies presque continuelles, venaient avec autant d’abondance que les orages d’été ; ce temps a duré jusqu’au 20 décembre, que le vent s’étant porté au nord, il est venu de la gelée et il est tombé un peu de neige le jour de Noël ; il tomba le matin une pluie qui occasionna un si grand verglas, qu’on ne pouvait se soutenir ; mais le lendemain le vent étant tourné au Midi, il tomba, ainsi que les jours suivants, une quantité prodigieuse d’eau poussée par un vent très violent » (Duhamel, « Observations botanico-météorologiques », in Mémoires de l’Académie des Sciences, 1741, p. 149)
On relève une première crue de la Seine le 7 novembre (AN, H2 1859). Les pluies se multiplient courant décembre sur des sols déjà saturés « …causant des inondations aussi grandes qu'aucune de celles dont nos histoires du Royaume ayent fait mention… » (Mem Acad Sces 1741). Les inondations ne concernent pas que le bassin de la Seine. Dans son journal l’avocat Barbier précise que « … depuis plus de deux mois, il a plu considérablement dans la France, et même dans les pays étrangers. Actuellement, jour de Noël, 25 de ce mois, Paris est entièrement inondée… ». De fait, au même moment, des crues remarquables surviennent sur les bassins de la Loire et du Rhône.
À Paris, la crue fait partie des plus grands événements connus. La hauteur maximale des eaux au pont de la Tournelle est voisine de 8 m (entre 7,90 et 8,10 m selon les reconstitutions). Seuls les événements de 1910 et 1658 lui sont supérieurs avec respectivement 8.40 m et 8.80 m. En dehors de Paris les hauteurs d’eau sont aussi remarquables. « (…) Il suffit de dire à présent que les plaines autour de Paris ne faisaient qu’une mer, il y eut plusieurs maisons d’emportées. Les plus grands arbres ne paraissaient plus (…) » (AN, K 1022). La Seine a atteint 6.34 m au pont de Villeneuve St-Georges (AP, SNS 1130 (enquête Belgrand).
À l’inondation de surface, il faut ajouter à Paris l’envahissement des caves, consécutif à la montée de la nappe souterraine. La carte levée à l’époque par le géographe Philippe Buache, de l’Académie des Sciences, donne une idée assez précise du périmètre inondé.
La crue fut également exceptionnelle sur le haut bassin de la Seine. Tous les environs de Troyes sont sous les eaux. Le 21 décembre 1740, on relève plus d’un mètre d’eau sur la chaussée St-Jacques. L’église des Mathurins est envahie, de même que tout le quartier de la cité ainsi que le secteur des Tanneries et du Temple.
La Marne déborde entre le 25 décembre 1740 et le 16 janvier 1741. On enregistre 6.15m au pont de St-Maur (AN, F14 7565, rapport ing. navi. Meaux 28 fev 1857). « (…) Encore un hiver bien froid et frais, en sorte qua Noel 1740 la rivière (Marne) étoit debordée…et on ne pouvoit avoir de farine pour faire du pain a cause que tous les moulins etoient noyés et a duré 3 semaines (…) » (Livre de raison d’un paysan de Varrèddes)
À Sens, l’Yonne s’approcha du niveau maximum atteint par la grande crue de 1613.
Conséquences
À Paris, trois maisons s’écroulèrent directement. Plusieurs personnes furent écrasées ou noyées, sans qu’on en connaisse le nombre exact. Les impacts aux ponts furent relativement limités, car bien entretenus selon les témoins. La situation fut plus mitigée pour les quais. « (…) Il n’y a que quelques parties des quais qui aient souffert, la plupart étant déjà en très mauvais état » (AN, K 1022, verbaux du Bureau de la ville de Paris).
On dispose à ce jour de peu de témoignages en dehors de Paris. À Genevilliers, « (…) le village … fut si bien couvert par les eaux que l’on entendit pas parler des habitants pendant trois jours. La faim et la peur les avaient fait monter au clocher de la paroisse comme la demeure la plus haute et l’endroit où ils pouvaient plus se faire entendre. Ils sonnèrent les cloches et criaient miséricorde (…) Les religieux de l’abbaye de St-Denis … leur … envoy(èrent) des vivres et … retir(èrent) une grande partie chez eux dont ils eurent un très grand soin » (AN, K 1022, verbaux du Bureau de la ville de Paris).
Plusieurs arches du pont de St-Cloud sont détruites. Les dégâts à celui de Neuilly sont également importants. Sur la Marne, la crue affecte particulièrement les installations portuaires et les mariniers. Les nombreux arbres précipités dans la rivière mettent à mal la navigation. La remise en état des berges prendra plusieurs années.
Gestion
Dès la mi-décembre, la ville de Paris prend la décision d’arrêter la navigation et de préserver les marchandises, les grains en particulier. « (…) Le 14 (décembre 1740) elle était à 18 pieds 10 pouces. A cette hauteur la rivière n’est plus navigable par le peu d’espace qui se trouve sous les arches des ponts tant dehors Paris que dans Paris. Le Bureau de la ville assemblée manda les inspecteurs sur les ports et leur enjoignit de faire décharger tous les grains et autres marchandises des bateaux et de les faire porter sur les quais et rues adjacentes où elles pouvaient être vendues, et de débarrasser la rivière de tout ce qui pouvait nuire à son libre passage, et de faire bien fermer les bateaux sur les bords (…) » (AN, K 1022, verbaux du Bureau de la ville de Paris).
La plupart des ponts de la capitale sont également fermés, en priorité ceux supportant des maisons et échoppes : pont St-Michel, pont au Change, pont Notre-Dame, pont Marie. Leurs occupants - marchands et habitants - sont évacués. L’île Notre Dame est isolée. (Champion, I, 135, Barbier)
Des mesures sont prises aussi pour préserver les ouvrages des embâcles et du courant. « (…) Le Pont Rouge se trouva fort embarrassé par des bois qui vinrent s’y rendre … tant de bois quarrés, de charpente, que de chauffage ; mais on y mit tant d’ouvriers que l’on vint à bout petit à petit de les débarrasser. On chargea le plus que l’on put le pont de l’île Louvier des bois pour l’aider à soutenir le choc plus longtemps, ce qui a bien réussi. On mit aussi des ouvriers à un des côtés du Pont Neuf vers la rue Dauphine pour le débarrasser de quantité de bois qui s’y étaient amassés (…) » (AN, K 1022, verbaux du Bureau de la ville de Paris).
La ville contrôle aussi la circulation par bateaux et le transport des personnes dans les secteurs inondés. « (…) 0n fit éclairer un certain nombre de bateaux pour la nuit dans les endroits où le public passait le plus communément (…) ». Les archers sont envoyés pour aider et encadrer les secours. « (…) Ledit jour (26 décembre 1740) le Bureau qui avait appris que les bateliers exigeaient trop de ceux dont les maisons se trouvaient dans l’eau et qui voulaient se sauver ou de ceux qui voulaient seulement passer l’eau, rendit une ordonnance pour qu’il fut défendu d’exiger plus que trois deniers tant pour passer que pour porter des paquets (…) et envoya des gardes de la ville d’un côté et d’autre pour faire exécuter ladite ordonnance et conduire es prisons de l’hôtel de ville ceux desdits mariniers qui y contreviendraient (…) » (AN, K 1022, verbaux du Bureau de la ville de Paris).
Approvisionnement
L’inondation survient alors que, depuis 1739, le pays traverse une crise frumentaire sévère, et les mauvaises récoltes de 1740 font craindre une disette. Dès le mois de septembre, la vente des grains et farines, ainsi que leur utilisation par les boulangers, sont réglementées. À Paris, on interdit aux brasseurs d’utiliser l’orge pour fabriquer la bière. On fait en même temps venir des blés des provinces et de l’étranger. Stocks qui seront bien utiles lors de l’inondation.
La présence de l’eau posait néanmoins d’importants problèmes logistiques. « (…) Les moulins à blés étaient inondés, de sorte que deux inconvénients se pressentaient. L’impossibilité de faire venir des blés par la trop grande hauteur des eaux, et le manque des moulins pour les réduire en farine (…) On se servit des moulins à bras pour faire la farine » (AN, K 1022, verbaux du Bureau de la ville de Paris).
Une coordination se mit en place entre les services de la ville de Paris et ceux de l’État. « Pendant cette inondation comme la rivière était trop haute pour emmener par eau les denrées, les sieurs lieutenant de Police et Prévôt des marchands étaient convenus ensemble que l’un fournirait des bateaux pour les endroits où les voitures ne pouvaient aller jusqu’à l’embarquement en charrettes dont le lieutenant de Police se chargeait. Et par ce moyen on tirait de la campagne tout le blé que l’on pouvait, et qui ne serait pas venu faute de voitures, et de savoir de la part des fermiers de la campagne comment s’y prendre. » (AN, K 1022, verbaux du Bureau de la ville de Paris).
Parallèlement, une grande procession est organisée fin décembre par les autorités civiles et religieuses entre Notre-Dame et Sainte-Geneviève (Champion, I, 155).
Assainissement, curetage des maisons
Dès avant le retrait total des eaux, des ordres sont donnés pour la visite des caves, fondations des maisons et des puits en vue de s’assurer de leur stabilité et salubrité. Craignant l’effondrement de certains bâtiments, quelques uns furent abattus préventivement courant janvier 1741, dont 18 dans le secteur du port St-Paul et 7 autres entre la rue de Portiers et l’hôtel de Lorey. (AN, K 1022)
L’assainissement des caves intervint après le retrait total des eaux : « (…) La rivière dès ce jour (8 mars 1741) se remit dans son état et son cours ordinaire, mais il y eut bien des endroits et des caves que l’on ne pouvait vider encore sans qu’elles se remplissent. Il y eut des ordres donnés … pour tenir la main à ce qu’on les vidât petit à petit, ce qui s’exécuta et dans la fin du mois d’avril on en vidait encore, ce qui fit bien des torts aux fondements de beaucoup de maisons de Paris. » (AN, K 1022, verbaux du Bureau de la ville de Paris).
Entretenir la mémoire ?
Pour la première fois, la pose de repères de crue au travers de la ville est proposée pour entretenir la mémoire à la fois des riverains et celle des promoteurs imprudents. « (…) Il serait à souhaiter qu’on mit en plusieurs endroits des inscriptions… Elles constateraient la hauteur des inondations et serviraient avec les deux échelles qui sont au pont Royal et au pont de la Tournelle, de point fixe, et de mesure de comparaison pour l’avenir. Elles pourraient être aussi de quelque utilité à ceux qui bâtiraient des maisons et les empêcheraient de tomber dans l’inconvénient où s’est trouvé le palais de Bourbon, qui n’a été inondé en 1740 que faute d’avoir fait attention au niveau des eaux dans le temps des inondations (…) » (Bonamy, 1741).
Ailleurs en France
Les inondations affectent au même moment une bonne partie de la France.
Sources
- Champion (Maurice), Inondations en France depuis le VIème siècle jusqu'à nos jours, (tome I, 126 ; tome II, 37, 127, 154) ;
- Journal de Barbier, avocat à Paris (cité par Champion) ;
- Bonamy (Pierre-Nicolas), Mémoire sur l’inondation de la Seine à Paris au mois de décembre 1740…, Mémoire de l’Académie des Inscription et Belles Lettres, 1741 ;
- Deparcieux, « Mémoire sur les inondations de la Seine à Paris », Histoires et Mémoires De l’Académie des Sciences, 1764, pp. 457-486 ;
- AN, F14 7565 ;
- AN, H2 1859 ;
- AN, K 1022, verbal du Bureau de la ville de Paris ;
- AParis, SNS 1130 ;
-
Eugène Belgrand. Les travaux souterrains de Paris. Études préliminaires. La Seine. Régime de la pluie, des sources, des eaux courantes. Applications à l'agriculture. 1873 ;