Description
Disparités socio-spatiales dans la prise en charge des populations franciliennes en situation de crise et post-crise
Cette thèse de doctorat, soutenue en décembre 2017, vise à étudier les impacts sociaux potentiels d’une inondation majeure de la région francilienne. L’aléa considéré dans ces travaux est celui d’une crue de la Seine et de ses affluents, de débit égal ou supérieur à la crue de référence de janvier 1910 (scénarios dits « R1 » et « R1,15 »). L’occurrence d’un tel aléa provoque des « impacts sociaux » – ces impacts font référence aux effets de l’inondation sur la population, ses conditions, ses moyens d’existence. Cette thèse est découpée en trois segments, correspondant à trois objectifs de recherche complémentaires : (1) d’abord, sont évalués dans le cadre d’un Système d’Information Géographique (SIG) les besoins de prise en charge des populations en cas d’évacuation massive ; (2) ces besoins sont confrontés, dans le cadre d’une étude qualitative, aux dispositifs développés par les autorités en charge de la gestion de crise ; (3) ces travaux sur les impacts de court terme de la crue se doublent enfin d’une étude sur les impacts sociaux de plus long terme, avec une modélisation des besoins de reconstruction et des impacts post-catastrophe de la crue sur la population.
Une estimation des impacts sociaux immédiats de la crue : l’exemple de l’évacuation massive
L’évacuation massive, enjeu central de la gestion de crise francilienne
En cas de crue majeure de la Seine, un des enjeux majeurs pour les autorités consiste dans l’évacuation des populations exposées. C’est une problématique centrale, et pourtant difficile à appréhender, du fait des nombreuses incertitudes qui pèsent, tant sur la connaissance de l’aléa et de ses impacts physiques, sur les réseaux en particulier, que sur les réactions des populations ou du commandement politique. Ces incertitudes justifient le développement, dans le cadre de la thèse, d’un modèle d’estimation des besoins sociaux de prise en charge en cas d’évacuation massive – en partenariat avec la Préfecture de Police de Paris, qui coordonne la gestion de crise à l’échelle francilienne. Ce modèle est développé sous SIG, et croise deux approches : (a) une approche environnementale, consistant à synthétiser des variables relatives à l’exposition des territoires vis-à-vis de l’aléa, pour faire un zonage de l’évacuation, à l’aune de la doctrine envisagée par la Préfecture de Police ; (b) une approche sociale, consistant à agréger des variables sociales et démographiques pour évaluer la susceptibilité de la population à évacuer et à trouver un hébergement.
Un modèle développé à partir de retours d’expérience internationaux
Cette seconde approche s’appuie en particulier sur un état de l’art constitué à partir des retours d’expérience d’évacuations massives, à l’échelle internationale – il est principalement développé à l’aune des évacuations étatsuniennes, à l’instar de celles qui ont précédé l’occurrence des ouragans Katrina (Nouvelle-Orléans, août 2005) et Rita (Houston, septembre 2005). Une difficulté majeure, pour anticiper sur une évacuation sur notre terrain d’étude, tient en effet dans l’absence de retour d’expérience d’évacuation de masse, impliquant des centaines de milliers de personnes, en France depuis la seconde guerre mondiale.
Des besoins de prise en charge élevés
Les résultats du modèle mettent en évidence des besoins de prise en charge élevés : jusqu’à 700 000 personnes pourraient être évacuées pour un scénario d’inondation similaire à celui de la crue de référence de janvier 1910, 1,1 million pour une crue d’ampleur supérieure. 120 000 personnes devraient être prises en charge dans des centres d’hébergement d’urgence dans la première hypothèse, 200 000 dans la seconde. Des disparités géographiques majeures peuvent également être observées, entre communes et entre départements.
L'étude spatialisée des dispositifs de prise en charge des populations
Une méthodologie mixte d’évaluation
Ces besoins sont confrontés aux moyens et dispositifs de prise en charge, développés par les collectivités et par les administrations d’Etat, responsables de la gestion de crise. A partir d’une méthodologie mixte, combinant entretiens, observations, documentation écrite et analyses géomatiques, ces travaux mettent en évidence les difficultés auxquelles doivent faire face les autorités publiques, et en particulier les collectivités, pour répondre aux besoins de leurs administrés, en cas de catastrophe.
Une double contrainte
Il faut en particulier souligner deux types de contraintes. D’une part, les autorités peinent à arbitrer dans des situations de forte incertitude, du fait des nombreux postulats, souvent implicites, qui pèsent sur un événement de l’ampleur d’une crue majeure de la Seine. Ce déficit d’arbitrages entrave non seulement les efforts de planification en amont, mais paralyse également les acteurs en situation de gestion de crise, du fait que ces derniers peinent à anticiper sur les conséquences de la crue, ce que les inondations de juin 2016 ont pu mettre en évidence. Les difficultés à arbitrer pèsent en particulier sur la problématique de l’évacuation, avec une doctrine qui peine à voir le jour de façon aboutie. D’autre part, le sous-dimensionnement des moyens limite la capacité des collectivités, municipalités en tête, mais aussi des institutions étatiques, à se préparer à la crise et à répondre aux besoins des population, sans l’intervention de l’échelon national. Ce sous-dimensionnement des moyens est aggravé par des difficultés de coordination ou de communication entre acteurs.
L'étude des disparités spatiales face aux impacts post-catastrophe de la crue
La cartographie des impacts sociaux post-catastrophe et la capacité de reconstruction des populations
Aux enjeux de gestion de crise, et à l’étude des impacts sociaux immédiats de la crue, s’ensuit une analyse cartographiée des conséquences à long terme de celle-ci sur la population. Cette analyse se fonde sur le développement d’un modèle sous SIG, permettant de cartographier deux types de données : d’une part, les dommages provoqués par l’inondation sur les services et infrastructures de base nécessaires à la vie quotidienne des populations ; d’autre part, la capacité de ces dernières à faire face aux conséquences négatives de la crue sur le temps long. Cette seconde analyse s’appuie en particulier sur un état de l’art de catastrophes passées, permettant d’identifier les variables corrélées à la capacité de reconstruction et de retour sur le temps long et sur leur territoire d’origine des populations sinistrées.
De fortes disparités spatiales face aux impacts post-catastrophe
Le croisement des deux approches – endommagement et capacité de reconstruction – permet d’estimer les impacts sociaux de l’inondation sur le temps long, et de cartographier les disparités qui se font jour entre les territoires sur cette question. Si un effondrement généralisé de la région francilienne est improbable sur le long terme, même dans l’hypothèse d’une inondation supérieure à celle de janvier 1910, les conséquences de l’inondation pourraient en revanche être durables à l’échelle locale. Certaines municipalités pourraient assister à une modification profonde de leur tissu social et démographique, du fait des conséquences de la catastrophe – en particulier les municipalités qui cumulent un fort endommagement (une douzaine de villes de plus de 10 000 habitants pourraient voir plus de 30% de leurs structures et infrastructures de base endommagées) et une faible capacité de reconstruction de leur population. La stratégie de reconstruction post-catastrophe doit pouvoir intégrer ces disparités spatiales dans sa planification, afin de les limiter et d’accompagner au mieux les populations les plus exposées.