Interview de Jacques Faye : vulnérabilité et sauvegarde des biens culturels

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Jacques Faye répond aux questions d'Episeine relatives à la sauvegarde des biens culturels.
Jacques Faye

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Comment définiriez-vous la notion de bien culturel ?

La notion de bien culturel renvoie à la notion de patrimoine culturel. Alors, on pense tout de suite aux formes bâties, bien entendu. Mais, des archives, des biens enterrés, tout ce qui est archéologique fait partie du patrimoine culturel… sans compter les dimensions immatérielles :  les langues régionales et la gastronomie d’un terroir sont aussi du patrimoine ! Bien sûr dans le cas du risque inondation, ce sont les biens matériels qui sont menacés.
Par ailleurs, ce patrimoine est communément hiérarchisé :  Il y a des biens dits locaux, ou nationaux, ou du patrimoine mondial… De quoi parle-t-on exactement ? Un lavoir local est aussi un bien culturel, en plus d’avoir une fonction pratique : on y lavait le linge.
Et puis, il y a le bien personnel : l’album de photos, c’est le patrimoine de la famille, et un patrimoine souvent irremplaçable.

A-t-on une idée de la valeur des biens culturels en Ile-de-France ?

Le bien culturel, c’est ce qui n’a pas de valeur monétaire. Ou alors, la valeur de reconstruction. C’est inestimable et pas assurable, et d’autant plus précieux. Ce qui veut dire que sa protection est d’autant plus importante. L’assurance ne permet pas de refaire le bien, contrairement à certains sites industriels par exemple. Et puis, la reconstruction d’un patrimoine culturel pose énormément de problèmes. Il suffit de voir tous les débats autour de Notre-Dame : on refait à l’identique ? ou l’on marque notre époque ?

Où en sommes-nous pour la protection des biens culturels face au risque d’inondation ?

Pour l’instant, ce risque est assez faiblement pris en compte… C’est pour cela qu’une initiative comme Episeine est la bienvenue. Cela pourrait permettre, entre autres, d’évaluer systématiquement l’exposition du patrimoine aux inondations… ce qui serait tout à fait conforme à la Directive européenne de 2007, qui demande aux états membres de prendre en compte la gestion des inondations et de leurs conséquences dommageables sur la santé humaine, sur l’économie, l’environnement, le patrimoine… Cette directive faisait suite aux inondations de Prague et de Dresde, deux villes chargées d’histoire, ce qui n’était pas un hasard.

Y a-t-il une vulnérabilité particulière au patrimoine ?

Penser « sauvegarde du patrimoine culturel » induit de modifier la façon de penser le risque inondation et sa prévention. Classiquement, le risque est évalué par le croisement de l’intensité du phénomène et de l’importance des enjeux. Mais dans les faits, les acteurs raisonnent trop souvent en fonction de l’intensité de l’alea : crue décennale, centennale etc… Ce qui ne fonctionne pas ainsi pour la préservation des biens culturels. On peut avoir une inondation de faible intensité dans un lieu très chargé d’histoire – et dans ce genre de site exceptionnel, même une petite inondation peut avoir des conséquences dramatiques.

Alors, que faut-il faire ? et qui doit faire ?

Préparer les consciences au fait qu’ils vont avoir à gérer des situations exceptionnelles et qu’ils doivent savoir comment agir. Nous sommes déresponsabilisés :  l’incendie de ma maison ce n’est pas moi, c’est le problème des pompiers ; l’inondation, c’est à la Préfecture de s’en occuper etc. Cette culture française de la délégation est l’une des causes essentielles de la vulnérabilité des biens culturels.

D’autant plus que l’Etat ne pourra pas tout faire en cas de grande crue en Ile-de-France.

Il ne faut pas oublier que, si l’on reprend l’exemple de Notre-Dame, il n’y avait pas de personnes à évacuer… Ainsi les 400 pompiers ont pu se consacrer à la sauvegarde des œuvres. Mais les pouvoirs publics ne pourront pas évacuer tous les biens culturels en cas de crue, et la sauvegarde des personnes sera prioritaire de toute façon.
Il ne faut pas se limiter à une logique d’évacuation. Il faut réfléchir à la mise en sûreté des biens, prévoir des locaux de confinement pour mettre à l’abri.
Et puis, surtout, il faut se préparer. Si ça arrive, comment on réagit ? Cela veut dire faire des exercices, répéter les gestes et les actions.

Comment on sensibilise au mieux à cette préservation, par exemple dans le cadre d’Episeine ?

Il ne faut pas d’actions isolées, ou d’actions d’éclat. Le one shot, ne sert pas à grand-chose. Pour les biens culturels comme pour le reste, c’est une question d’éducation, il faut de la répétition, de la pédagogie, un programme dans la durée, et un chef de programme.
Il y a une réflexion intéressante à mener : comment font les pays qui vivent avec le risque et en partagent la responsabilité ? Le Japon, par exemple, avec les séismes…. Eh bien tous les ans le Japon organise un jour de la prévention du risque, pendant lequel on s’exerce, à l’école, en entreprise etc.
Il faudrait en France une journée consacrée au risque dans nos territoires. Ça existe déjà au niveau international, c’est le 13 octobre. Nous avons la journée du patrimoine, ce qu’on veut transmettre. Pourquoi ne pas faire la journée de la sauvegarde du patrimoine ; avec des événements, des exercices dans les musées…

 

Jacques Faye a été chef du bureau information préventive, coordination et prospective du service des risques naturels et hydrauliques du ministère de la transition écologique et solidaire.

 

« Le musée du Louvre face au risque de crue » : film présentant les mesures prises par le musée pour préserver l’établissement du risque inondation. https://www.dailymotion.com/video/x2qp2b7